Tout
au long de l'année 2016, sur l'invitation du musée de Salagon,
Vincent Matyn-Wallecan et Bat Sheva Papillon proposent une série
d'installations sonores sur le thème de la couleur, dans le cadre du
projet Voir autrement.
Rouge
antenne
Les
couleurs, comme le son, offrent des expériences de perceptions très
subjectives, très personnelles. Elles ouvrent un univers de
vibrations, de mémoire, et de langage. L'intention de Rouge
antenne, c'est de donner
à la couleur une expression sonore, comme un prolongement vers
l'intérieur du corps. Parce que la voix, le son, c'est l'accès à
l'intimité. L'écoute attentive, c'est une découverte. Écouter
sans regarder permet de ressentir directement, sans être interrompu
par l'image, qui envoie ses signaux instantanément, tandis que le
son se déploie dans la durée. Et l'écoute collective, c'est un
moment de partage : parce que l'on est ensemble, on écoute
différemment. On écoute avec ce que l'on sait de l'autre, même si
on ne le connaît pas. Partager un moment d'écoute, surtout si on
prend le temps d'en parler après, c'est créer un moment de culture
commune. Créer des moments de culture commune, même éphémères,
ça fabrique un musée.
Il
faut le faire avec délicatesse, car nous aimons aussi le silence.
Nous aimons pouvoir regarder sans entendre, et entendre sans
regarder. C'est pourquoi, dans les espaces intérieurs et dans les
jardins de Salagon, nous proposons des prolongements (aux lieux, aux
œuvres)
et pas des superpositions.
Créer
des moments d'écoute
Dans
un musée, le son peut exister comme œuvre,
comme occasion d'une expérience artistique. Il peut aussi être une
trace, un document, une mémoire. Il peut créer des liens. Avec le
projet Rouge antenne, nous expérimentons ces différentes
dimensions. Nous imaginons des propositions d'écoute qui ne soient
pas strictement individuelles. Entre l'écoute au casque et l'écoute
collective dans un auditorium, nous sommes à la recherche de
solutions intermédiaires, qui permettent à la fois l'expérience
intime, et le partage de cette expérience.
Les
visiteurs du musée de Salagon ne viennent pas, à priori, pour
écouter du son. Le silence fait partie de l'expérience du lieu - un
silence très habité cependant : oiseaux, insectes,
grenouilles, et la route ! Les installations sonores peuvent,
d'abord, être perçues comme des corps étrangers. Ce sont
effectivement, à Salagon, des hétérotopes, des lieux décalés par
rapport à l'ensemble. C'est via cette étrangeté qu'ils peuvent,
parfois, devenir des espaces pour l'imaginaire, des mini-territoires
où les visiteurs peuvent se poser, se laisser prendre. Et arriver au
cœur
même de la proposition : entendre, très précisément, des
histoires de couleur.
Écouter
les couleurs
Les
perceptions de la couleur appellent d'autres perceptions, elle
permettent d'explorer l'histoire individuelle et collective. Dans nos
enregistrements et nos réalisations sonores, nous cherchons à faire
émerger des évocations, des associations, pour une poésie
documentaire, qui tisse des liens entre les couleurs et les choses.
Vincent
Matyn-Wallecan est allé à la rencontre de femmes qui ont développé
des liens fort avec la couleur. Avec les mots de la couleur, souvent
issus de noms de plantes, il a composé des poèmes sonores. Bat
Sheva Papillon a saisi des moments de visite et d'ateliers à
Salagon, pour en faire des bulles sonores à partager. A partir de la
matière sonore récoltée tout au long de l'année, nous proposons
des formes diverses : sous un parapluie rouge,
dans la salle Pierre Martel, nous avons fait entendre Dotée, ou
atteinte. Dans la forge, la voix de Tachka Sofer fait le lien
entre les couleurs et les plantes présentées dans l'exposition.
Pendant les Rendez-vous aux jardins, nous avons proposé deux
expériences d'écoute radicalement différentes : deux
compositions sonores élaborées, et une archive sonore peu
retravaillée. Dans une structure légère enveloppée d'une toile
rouge, nous avons accueilli les visiteurs, pour un moment d'écoute
de quelques minutes, ou de trois quarts d'heure dans son intégralité.
Installée dans le jardin de la noria, rouge au milieu du vert, la
tente appelle d'abord l'œil,
puis l'oreille. Les enfants sont attirés par cette caverne, par la
lumière rouge du soleil traversant la toile. Les parents suivent.
C'est le moment de prendre le temps, de se laisser emporter, de
découvrir la richesse du son, son pouvoir d'évocation. Pour
certaines personnes, c'est l'occasion d'entendre, pour la première
fois, le son comme un art. Pour d'autres, c'est la rencontre intime
avec une personne, à travers sa voix : Aimée Castain, interrogée
par Pierre Martel en 1977, parle à chacun de nous de la vie, de la
peinture, et des paysages d'ici.
Témoignage
d'un visiteur
« Hier,
en repensant à cette belle journée, je me disais que ce que j'avais
ressenti en regardant la peinture de Mme Castain, elle le traduisait
également, et avec la même sincérité, dans ses propos et dans
cette voix que vous avez su faire revenir. Que ce qu'Aimée Castain
traduit par sa peinture, à travers des thèmes similaires et un
environnement réduit de quelques centaines de mètres, on peut donc
aussi dans son cas le comprendre par sa parole et son intonation. Pas
si courant. Votre mise en situation nous y aidait, c'est vrai. Avoir
rencontré par hasard la voix d'Aimée Castain en arrivant par ce si
beau jardin près de votre tente me semble encore irréel. La preuve
si il en était besoin que toute action porte des fruits
inattendus. » Antoine
B.